PHOTOGRAPHIE DE FAMILLE /// PHOTOGRAPHIE POPULAIRE /// PHOTOGRAPHIE D’AMATEUR
Photographie d’archive///Photographie anonyme///Photographie vernaculaire
Apparue dans la première moitié du XIX° siècle la photographie fut longtemps l’apanage des classes aisées qui venaient se faire tirer le portrait et entretenir la posture de leur lignée dans un studio prestigieux. Cette technique mécanique au milieu du même siècle, pu toucher un plus large public et se démocratiser. La propagation des appareils plus légers et facilement transportables a favorisé le développement de la photographie de masse accessible et pratiquée par tous dans les années 1950.
Le caractère des images anonymes se distingue par le fait qu’elle privilégie la pose du personnage. Celui-ci ainsi portraituré s’en trouve souvent un peu emprunté, figé, gêné par l’objectif, le temps de pause et l’œil du photographe rivé sur lui. Parfois c’est le contraire qui se produit, à un moment où l’image dérape sans plus aucun contrôle, la personne est surprise en plein mouvement qui échappe à la volonté du photographe par un flou qui n’a rien d’artistique. Il est évident que le but de la photographie de famille est de garder un souvenir de l’être photographié et rendre reconnaissable le personnage qui se retrouve fixé pour l’éternité. Négligeant souvent les qualités techniques ou esthétiques de son médium, le photographe amateur ou de studio de portrait officiel ne s’applique qu’à rechercher la vérité des traits de l’individu qui passe devant son appareil en l’immortalisant par un cliché. Il s’agit de garder en mémoire un instant important ou heureux, une personnalité dont on souhaite conserver l’effigie. Ces « arrêts sur images » ont pour fonction d’enregistrer une chronique familiale ou un groupe social défini et elles en reflètent l’intimité.
Photographie perdue///Photographie trouvée///Photographie récupérée
Or souvent ces photographies disparaissent et reviennent par des chemins mystérieux dans des lieux où elles n’ont aucune raison de prendre place : cartons de déménagement, fonds de tiroirs, trottoirs de rues, poubelles ou encore étals de marchands aux puces. Sortis de leurs contextes ces instantanés vont perdre leur particularité mais surtout les identités des humains photographiés s’en trouvent oubliées. « Quelqu’un a dit on meurt deux fois. On meurt quand on meurt et on meurt une deuxième fois quand on trouve votre photo et que plus personne ne sait de qui il s’agit… » dit Christian Boltanski.
Par leur nature ces images, à leur origine, ont constitué des ensembles chronologiques dans des albums de famille. Pourtant par le biais du hasard elles se sont retrouvées éparpillées, le corps familial ayant été morcelé. Trouvées, achetées, récoltées, assemblées, ces visages sans noms, ces personnalités en berne se retrouvent – par l’intervention de nombreux artistes depuis les années 1960 – sortis de l’oubli et démarrent une nouvelle existence. Démembrés, les anciens groupes sont reformés de la manière la plus disparate dans le souci qu’a l’artiste qui les réunit de leur trouver une nouvelle place. Parfois, à l’inverse, il les isole et donne d’eux la représentation d’une solitude accrue. Le personnage se retrouve donc doublement coupé des siens, de ses racines, de ce qui constitue son individualité et se voit parachuté d’une façon déterminée et arbitraire dans un tout autre univers. Voyageant dans le temps comme dans l’histoire il entre alors dans la fiction. Par cette démarche particulière et inédite il se voit bousculé en tant qu’individuum, jusqu’à en perdre la notion d’identité, il n’est plus que pantin obéissant à la fantaisie d’un auteur.
Photographie relue///Photographie revisitée/// Photographie réanchantée
Que l’on souhaite les appeler relecteurs, ré-enchanteurs ou appropriationnistes, les artistes réunis dans cette exposition ont comme point commun de partir de photographies anonymes et d’intervenir dessus. Que leur collecte se fasse de manière familiale, puisant dans leurs propres albums et leur autobiographie, dans les cartons de déballages trouvés au hasard de leur quête, dans l’espace public ou sur les réseaux sociaux, tous s’intéressent au mystère des photographies sans auteur ou signature revendiquée et dont les sujets sont tombés dans les oubliettes de l’histoire. Ils prennent à leur compte des images photographiques existantes, les utilisant comme matériau de départ pour nourrir leur œuvre personnelle et opèrent une décontextualisation de leur diffusion initialement prévue en leur proposant de nouvelles interprétations et donc en les animant d’une nouvelle destinée.
D’une première image en naît une nouvelle. Il s’agit en quelque sorte de faire du neuf avec de l’ancien, de réinsuffler de la vie à des existences disparues ou anonymes. Est-ce alors un prêté pour un rendu ? L’emprunt à ces images vernaculaires relève du métalangage. Il ne s’agit pas de réemploi mais bien d’œuvres originales qui s’inscrivent, à partir de clichés faits par d’autres, dans une réflexion entamée et poursuivie tout au cours de l’histoire de l’art. Les artistes en effet inventent dans l’art un art autre, comme le dit Deleuze, afin d’«inventer dans la langue une nouvelle langue, une langue étrangère en quelque sorte».
Certains artistes présents dans cette exposition décident de transformer par différents moyens des tirages ou négatifs anciens ou récents qu’ils trouvent ou choisissent, d’autres collectent leurs images/matériaux et les archivent selon une logique qui leur est propre et inventent pour elles des dispositifs de présentation, d’autres enfin partent de photographies pour les interpréter dans divers médiums (peinture, stylo bille, tapisserie). Quelles que soient les formes données à ces matériaux repris en seconde main, la revivification qu’en font les plasticiens ici réunis incite à nous interroger – à l’heure de la dématérialisation numérique, d’Internet et de son flux de visuels, de photoshop et des snapchats – sur notre rapport à l’image, la mémoire et l’identité.
Isabelle de Maison Rouge
En savoir plus sur l’exposition collective « Trouble d’identité »