La biographie publiée en 1988 par Christian Genet et Daniel Hervé porte comme titre Pierre Loti l’enchanteur. Une référence sans doute à la mystérieuse devise de l’écrivain « mon mal j’enchante », mais aussi à l’univers fantastique de cet homme aux facettes multiples qui dérouta ses contemporains et, presque 100 ans après sa mort, intrigue encore aujourd’hui.
Coco Fronsac, quant à elle, est à sa façon une sorte de fée. La rencontre avec Pierre Loti n’a donc rien d’étonnant : la magie les unit. L’artiste connaissait la maison de Loti, surprenante accumulation de décors exotiques et historicistes, d’une incroyable fantaisie décorative. La demeure étant fermée depuis 2012 pour un long chantier de restauration, son contenu se trouve aujourd’hui dans les réserves des musées de la ville. Coco a exploré ces réserves pour se plonger dans l’univers intime de l’écrivain. Permission lui a été accordée d’avoir accès à tout, elle a pu ainsi appréhender le personnage et percevoir ce qui les rapprochait.
Loti de son temps a fasciné, voire subjugué un large public sensible à sa plume. Mais il a aussi inversement agacé et parfois prêté aux sarcasmes. C’est le propre des êtres remarquables de ne pas faire l’unanimité. Or Loti, qui n’entrait pas dans les codes de son époque ni certainement d’aucune autre, était un personnage exceptionnel. Comment qualifier autrement un officier de Marine qui passe son temps à se déguiser, qui vit dans un palais des mille et une nuits, qui fréquente aussi bien les altesses que les matelots, qui baptise ses chats et envoie des faux faire-parts de son propre décès ? Loti en réalité transforme son existence en un jeu permanent. Il réinterprète à l’envi les épisodes heureux de son passé dans des décors extravagants, où il accumule d’innombrables objets qui sont pour lui, et pour lui seul, de précieux souvenirs, mais aussi de puissants talismans.
Car la peur de la mort ne le quitte pas. A défaut de pouvoir conjurer ce mal, il tente de l’enchanter en faisant de sa vie une interminable représentation théâtrale dont il est le personnage principal. Les points de convergence entre Coco Fronsac et Loti semblent être là : l’omniprésence de la mort, les reliques, les jeux
de masques.
Mais la magie de Coco Fronsac diffère, comme son rapport à la mort. Loti met des masques et accumule des petites choses pour s’en protéger, son jeu avec elle est sérieux et il sait qu’au final il sera vaincu. Coco Fronsac n’essaie pas d’apprivoiser la mort, elle s’en amuse.
Son travail n’est pas propitiatoire, et pourtant c’est une magicienne. Elle met des homoncules en bouteille, elle construit des reliquaires pour attraper les rêves. Et quand, sur des photographies, elle pare de masques les visages de personnes depuis longtemps défuntes, magie suprême, c’est pour leur donner une seconde vie.
L’univers de Loti, bricolage miraculeux, parent du sien, même si sa finalité est différente, ne pouvait que la séduire; ces deux là étaient faits pour se rencontrer.
Claude Stéfani
Conservateur des musées de Rochefort