Une photographie de Nicolas Henry est une oeuvre en soi bien sûr, chargée d’émotions, d’optimisme et d’engagement, à la clef d’entrée accessible et à la lecture multiple. Elle demeure en outre la résultante d’un certain nombre d’étapes à signaler tant celles-ci témoignent de la collecte du récit, d’échanges interculturels et d’actes collaboratifs.
Une photo, c’est un lieu et des hommes. Découvrir et tenter de comprendre un contexte, des habitants, une vie locale, tel est le dessein de l’artiste. À l’écoute d’anecdotes individuelles, de rêves ou de colères collectives, de difficultés quotidiennes ou d’initiatives transformatrices, Nicolas Henry fabrique un univers autour d’un récit qu’on lui a conté et en propose une résolution plastique. L’équipe, avec l’aide de la population locale, réalise autour de cette histoire un objet, un « truc », un « machin », sorte de totem autour duquel chacun s’active à la construction. Les matériaux sont récupérés, glanés çà et là. On commence à les imbriquer les uns avec les autres. On noue, on cloue, on visse, on entremêle les feuilles de bananes, le bambou, les bouts de plastique, les tissus… tout autant d’ailleurs que le savoir-faire de chacun. On échange sur les façons de faire, « tu peux faire un noeud comme ça ! », « là, on va clouer », chacun exécute sa tâche en participant à une oeuvre collective, on en oublie que l’on ne parle pas la même langue. « Je ne sais pas si je fais bien », « ce n’est pas grave, il faut avancer », tout est chronométré dans la tête du créateur.
Pendant les prises de vues, l’action est omniprésente, le corps parle, les mains de l’équipe sont le prolongement de sa pensée. Il faut « faire ». Tous ces gestes sont essentiels à l’élaboration du dispositif. La scène commence à prendre forme, les structures sont montées, les couleurs arrivent, on commence à voir le tableau se dessiner. Les passants s’arrêtent, s’attroupent, débattent, tout en regardant le premier acte de la pièce en train de se faire. On sent le bouillonnement d’un événement à venir. Les lumières s’allument, le déclenchement des flashs scande l’histoire. Une lumière résiduelle s’imprime au fond de l’oeil, puis une seconde, et ainsi de suite à la manière d’un flip book. Chaque scène du plateau est éclairée successivement et nous fait découvrir petit à petit le récit qui composera entièrement la photographie.
On assiste alors à un vrai théâtre : les décorateurs deviennent acteurs, les techniciens metteurs en scène, le photographe mime, et les spectateurs photographes. Oui, il arrive parfois que ceux-ci déclenchent l’appareil photo. Tout ce cirque crée un espace social où chacun interagit. Les habitants découvrent des bribes de leurs récits personnels dans une installation géante, assemblés dans l’entre-deux de la réalité et de la fiction. Chaque parole collectée se retrouve dans le décor. Leur histoire se déroule devant eux et amène une prise de conscience ; peut-être, soyons utopiques, une forme de résilience ?
Arnaud Lévénès et Mohamed Arroussi