Depuis 2015 je documente la montée de la pauvreté en France, en privilégiant les zones rurales et péri-urbaines. Ce travail a pour but de rendre visibles et concrètes les conditions de vie d’une partie de nos compatriotes. La France comptent 8,8 millions de pauvres (INSEE, 2016). 2,3 millions de personnes vivent avec au mieux 672 euros par mois (pour une personne seule). Comble pour l’un des premiers producteurs agricoles mondiaux, pour manger, près de deux millions de personnes auraient eu recours à l’aide alimentaire en 2015 (Observatoire des inégalités). Économiste de formation je m’intéresse aux évolutions qui modifient la société française en profondeur, sur le long terme. La pauvreté a baissé à partir des années 1970 jusqu’au milieu des années 1990. Elle est ensuite restée plutôt stable jusqu’au début des années 2000, puis elle a augmenté. Depuis 2004, le nombre de personnes pauvres a progressé de 1,2 million (+ 30 %). Ce mouvement de hausse constitue un tournant dans l’histoire sociale de notre pays. La dégradation économique enregistrée depuis 2008 pèse tout particulièrement sur les moins favorisés (source : L’Observatoire des inégalités). Mon objectif est donc de réaliser un témoignage photographique de la hausse structurelle de la pauvreté dans l’hexagone. Au delà des statistiques, le phénomène est peu visible. Pourquoi ? Les analyses de Pierre Bourdieu et Michel Legros peuvent nous éclairer. Selon le premier, l’invisibilité sociale est un effet de la domination. L’espace social est un espace clivé, divisé entre dominants et dominés. Dans la conception la plus large, l’invisibilité concerne tous ceux que les dominants estiment ne pas relever d’une vie normale et accomplie. Pour Michel Legros (Observatoire de la pauvreté et de l’exclusion sociale) l’invisibilité peut constituer un mode de régulation de la pauvreté. Il s’agit alors de rendre les pauvres invisibles. Les politiques urbaines notamment visent à « nettoyer » l’espace public, en évitant que les pauvres ne l’occupent trop massivement pour ne pas déranger le reste de la population. La rénovation urbaine a pu conduire à repousser les pauvres toujours plus loin en périphérie, et la politique de mixité sociale passe en réalité par l’expulsion plus ou moins directe et négociée de catégories que l’on ne souhaite plus voir dans les espaces rénovés. (ONPES). Je souhaite que ce témoignage rendre visibles et concrètes les conditions de vie d’une partie de nos compatriotes. Que des visages se substituent aux statistiques afin d’apporter au public des éléments de sensibilisation et de compréhension.
Car le regard des Français sur les pauvres se fait plus dur. Selon une enquête du Crédoc portant sur un échantillon représentatif de 2 000 personnes de décembre 2013 à janvier 2014 publiée le 12 septembre 2014, 37 % des Français pensent que les personnes qui vivent dans la pauvreté n’ont pas fait d’effort pour s’en sortir alors qu’ils n’étaient que 25% en 2009 au déclenchement de la crise. Mon approche est basée sur l’établissement d’une relation de confiance avec les personnes photographiées. Je m’intéresse au parcours de chacune d’entre elle au travers d’entretiens. Cette «méthode » demande beaucoup de temps. Ce projet bénéficie de partenariats avec Le Secours Populaire Français, la MSA. Après présentation du projet, le Secours Populaire et à la MSA (mutualité sociale agricole) ont décidé de me soutenir en mettant leur réseau à ma disposition. Je m’appuie sur les structures locales, les bénévoles, les travailleurs sociaux pour entrer en contact avec les personnes en difficulté. Mon ambition est de couvrir l’intégralité du territoire français (chaque département). Ci dessous figurent des photos prises dans les départements du Var, Calvados, Eure, Seine maritime, Cantal, Puy de dôme et Corrèze.